Le 'je dis' du jeudi

Le 'je dis' du jeudi
Le 'je dis' du jeudi

30.9.11

Le pays des hommes poireau

Le phénomène a été découvert aux États-Unis, comme toujours, il y a au moins une trentaine d'années. Et puis, comme toujours, il a fallu le temps pour qu'il arrive jusque chez nous. Mais là, on est en plein dedans : nous sommes envahis par les hommes (et femmes) poireaux. Les scientifiques-laborantins des médias que sont devenus les présentateurs de JT se penchent d'ailleurs très régulièrement sur la vie fascinante de cette race bien à part d'êtres humains. A tout moment, au cours de leurs grands-messes journalistiques quotidiennes et télévisées, le ronron rassurant du déroulement des catastrophes proches ou lointaines peut se suspendre subitement avec une injonction du type : 'et nous retrouvons tout de suite François-Daniel Wouters en direct de la Rue de la Loi'. 

A ce moment précis, c'est un documentaire animalier qui démarre. On peut y observer une personne droite comme un I, dans une pose figée, mi-attentive, mis-inquiète, un peu comme les papis aux sonotones mal réglés qui se concentrent sur les paroles de leurs petits enfants, les yeux plissés, pour tenter de comprendre tout ce qu'on leur dit. L'homme-poireau ne se sépare jamais de ses attributs fétiches : un micro en forme de grosse sucette aux couleurs acidulées à la main, et deux gros spots halogènes qu'il dirige toujours vers son visage inquiet. Il est habituellement un peu lent au démarrage, en fonction de la distance qui le sépare du studio de son collègue homme-tronc. Chaque séquence consacrée à l'étude de l'homme-poireau commence donc immuablement par une phase d'observation, parfois assez longue (quand il se trouve à Kaboul ou en Patagonie, ce temps peut même dépasser la minute!). Phase la plus favorable pour détailler son accoutrement toujours très créatif : cravate de travers pour mettre une chemise à carreaux bien en valeur, parapluie à demi ruiné qui semble sortir d'une poubelle, ou pour les femmes, tissu improbable jeté sur la tête, cette option étant réservée aux pays musulmans.

Ce temps suspendu, parfois interminable, étant écoulé, le spécimen se met soudain en action et débite un texte inscrit sur un carnet qu'il tient à bout de bras ou pour les plus myopes, sur des grands panneaux de cartons tenus face à lui, hors champ, par des techniciens hirsutes. Le tout interompu par des question pré-écrites de son interlocuteur tronc avec un air faussement intéressé. Autre particularité de notre animalus televisualis : son biotope. L'homme-poireau évolue le plus souvent dans des rues désertes, devant des façades aux portes closes, ou au bord de rivières, qui entre-temps sont rentrées dans leur lit, à la nuit tombée. Il s'acharne alors à décrire le paysage en multipliant les superlatifs pour évoquer ce qu'on y voit pas. 'C'est derrière les fenêtres éteintes derrière moi que tout s'est déroulé il y a moins de 12 heures..'. A l'opposé, certains s’échinent à hurler des lapalissades tout en se faisant bousculer au milieu d'événements populaires bondés et sur-bruyants : 'Je ne vous entend pas, mais comme vous le voyez, il y a beaucoup de monde ici Jean-Pierre...'. D'autres encore se font remarquer.. sans rien faire. Ils ne réagissent à aucune des injonctions angoissées du présentateur : 'Est-ce que vous nous entendez Jacqueline?', qui se croit toujours obligé de mentir : 'Eh bien, ne vous retrouverons plus tard dans ce journal..'. Attention, la première surprise passée, sachez que ces hommes-poireau se reproduisent à une vitesse phénoménale et sont en passe d'envahir toutes les antennes et sur tous les sujets, au point de phagocyter les informations classiques à contenu au profit de leurs apparitions absconses. Prudence donc!

Moi, je dis :

Après les hommes-tronc et les hommes-poireau, vivement qu'on invente les hommes-banane, pour qu'on puisse s'en fourrer un dans chaque oreille et ne plus subir le bruit ambiant.


Le jedi du jeudi 

[prononcer : le djedhaï du djeudhaï]



PS : Les hommes-poireau sont-ils condamnés à ne rencontrer que des femmes-vinaigrette?




 

1 commentaire:

  1. analyse anthropologico-médiatique très pertinente et qui dénote un grand sens de l'observation, mon cher Jedi! En Italie, un homme-poireaux est même passé à l'histoire (grâce notamment à la téléréalité)... Paolo Brosio, grand, sec, moche, un peu dégarni et immanquablement cernée, a passé le clair de son temps dans les année 90 devant le palais de justice de Milan pour informer les italiens de dernière avancées judiciaire concernant le sandal de Mani Pulite. Point marquant, à chaque prise de parole ou à chaque phrase à effet, un gros bus orage passait derrière lui, écrasant ainsi sa petite voix de canard... le voici: http://m2.paperblog.com/i/36/363557/super-paolo-brosio-L-FdofGC.png

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